Critique de L'œuvre des Wachowski : La matrice d'un art social - Riche et dense

Juste à temps pour la sortie du prochain opus de Matrix, Third éditions a sorti L'œuvre des Wachowski : La matrice d'un art social, un livre coécrit par Julien Pavageau, Aurélien Noyer et Yoan Orszulik qui revient sur la carrière des deux cinéastes.

Table des matières

De Bound à Sense8 en passant par les films V pour Vendetta et Ninja Assassin – produits, mais pas réalisés par les Wachowski – ainsi que par Carnivore, leur tout premier scénario qui n'a jamais été réalisé, les trois auteurs de l'ouvrage L'œuvre des Wachowski : La matrice d'un art social exploitent l'ensemble de la filmographie des cinéastes pour nourrir leur livre.

Celui-ci ne dévoile pas les coulisses des films, ni n'en propose une analyse réelle. Au contraire, les auteurs ont opté pour une approche thématique : l'analyse de l'œuvre des Wachowski est problématisée, divisée en questions qui trouvent leurs réponses dans les différents chapitres de l'ouvrage, via la convocation de l'ensemble de la filmographie concernée. Concrètement, voici les 10 chapitres présents dans le livre :

  1. Les influences
  2. Le manifeste artistique
  3. Les résonances
  4. L'anti-manifeste politique des Wachowski
  5. La famille Wachowski
  6. Le héros wachowskien, du cliché à l'archétype
  7. Love is just a word
  8. L'antagoniste systémique
  9. L'individu face au collectif
  10. Le cyborg wachowskien

Prenons le sixième chapitre en exemple. Les auteurs commencent par une présentation générale, expliquant que les Wachowski se servent des archétypes – et non des clichés – pour les détourner. L'explication est assez riche, mais aussi facilement accessible, même par les néophytes. Ensuite, de nombreux exemples sont exploités pour illustrer le propos : Violet et Corky dans Bound, Neo dans Matrix, Jupiter dans Jupiter Ascending, etc. L'analyse est elle-même divisée en parties : après avoir montré en quoi ces personnages exploitent le concept des archétypes – pour le transcender –, le trio s'intéresse ensuite aux symboles et au libre arbitre de ces personnages.

Esthétique

Cette orientation a plusieurs conséquences. Tout d'abord, elle impose un pré-requis : avoir vu l'ensemble de la filmographie des Wachowski. En effet, pour exploiter l'ensemble de leur corpus, les auteurs n'hésitent pas à le spoiler ; c'est particulièrement vrai pour Speed Racer, qui est peut-être le film le plus méconnu du lot. Aussi, commençons par un avertissement : si vous n'avez pas vu l'ensemble des films concernés, faites-le avant d'ouvrir ce livre. Chacun d'entre eux est mémorable, à sa façon, c'est donc de toute façon un bon conseil à donner.

En revanche, pour toute personne connaissant l'ensemble des films évoqués, cette richesse du corpus est agréable, car les références rappellent des souvenirs et sont généralement pertinentes. On remarque le grand travail des auteurs, qui se retourne cependant parfois contre eux : le premier chapitre est assurément le plus indigeste de tous, tant il ressemble à un gigantesque name dropping de titres de films, de séries ou encore de jeux vidéo, sans qu'il soit possible de pleinement assimiler ce qui est dit.

C'est en effet le problème majeur de cette approche : en passant constamment d'un film à un autre, Julien Pavageau, Aurélien Noyer et Yoan Orszulik livrent un texte extrêmement dense. Il faut, à chaque paragraphe, rappeler ses souvenirs de tel ou tel film, se remettre dans le contexte, puis revenir au propos et s'efforcer de le comprendre. C'est très usant : L'œuvre des Wachowski est davantage le type d'ouvrage qui se parcourt avec une feuille de note sous la main que le genre de livre que l'on lit dans les transports en commun. Même en le lisant avec attention, il est très dur de donner de tête un résumé complet d'un chapitre que l'on vient de terminer.

Le fait qu'il ait été rédigé par trois auteurs différents se sent peu, le style paraissant globalement uniforme. Néanmoins, il y a parfois des redites, comme l'évocation d'une interprétation possible des origines du Mérovingien ; rien de grave, mais ces quelques répétitions participent à donner l'impression d'être face à un livre cyclique plus que linéaire. Il est dur de cerner en permanence dans quelle direction nous emmènent les auteurs.

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En outre, il est regrettable que ce grand travail de recherche, très poussé, s'arrête aux frontières des œuvres elles-mêmes. Prenons un exemple concret : le trio d'auteurs répète régulièrement que tel ou tel film a été un échec commercial et/ou critique (les Wachowski ayant connu peu de succès depuis le tout premier Matrix). Cependant, ce ne sont toujours que des remarques générales : il n'y a jamais de chiffres (hormis pour le budget de Cloud Atlas, rapidement évoqué), ni d'analyses concrètes de la réception des films concernés. L'analyse intègre l'ensemble des productions des Wachowski, mais elle s'arrête là, n'étudiant guère tout ce qui les entoure ou alors seulement en surface. Un seul chapitre fait exception, le cinquième, La famille Wachowski, qui s'intéresse aux collaborateurs récurrents. L'occasion de revenir sur leurs carrières respectives et sur leurs apports à ces productions, ce qui est intéressant. Malheureusement, ce chapitre est le seul de ce style.

Par ailleurs, le parti pris du livre repose sur une question avant tout éthique : peut-on réduire l'ensemble de la filmographie des Wachowski en quelques principes absolus ? C'est en effet le travers dans lequel tombent les auteurs : comme ils n'utilisent que ce qui sert leur propos, ils donnent l'impression que l'œuvre des cinéastes est monolithique, gommant toutes ses aspérités, ses différences, ses tâtonnements. C'est dommage, car ces particularités sont tout aussi révélatrices. Pour ne donner qu'un exemple, le personnage de Caine Wise, dans Jupiter Ascending, est très différent des autres héros des Wachowski, ce qui est probablement révélateur d'une recherche de rentabilité effectuée en mettant en scène un bel homme musclé plutôt qu'un personnage plus effacé.

Enfin, par endroits, les auteurs se permettent quelques jugements de valeur, ce qui semble aussi inapproprié que maladroit. Ils disent par exemple au sein du cinquième chapitre que « la notion de bande originale hollywoodienne semble de plus en plus reléguée à une uniformisation sonore industrielle ». Le problème n'est pas d'être d'accord ou non avec cette affirmation, mais que celle-ci apparaît soudain, sans justification ni lien avec le propos, tel un troll lâché sur un forum par un Alpha & Oméga qui sait qu'il est tout juste dans les limites lui permettant d'éviter une modération.

Conclusion

L'œuvre des Wachowski : La Matrice d'un art social dispose d'un avantage indéniable : il a une vision très claire et s'y tient de bout en bout, ce qui permet très facilement de savoir si le livre est fait pour soi ou non. Si vous avez vu l'ensemble des films impliquant les Wachowski et si vous cherchez une analyse profonde et transversale de ceux-ci, ce livre constitue un passage incontournable. Si en revanche vous espérez une présentation plus poussée de chacun de ces films, une contextualisation de ceux-ci ou tout simplement une lecture sans prise de tête, cet ouvrage n'est probablement pas celui qu'il vous faut. Ce dernier ressemble donc par moments à une occasion manquée, mais on ne peut que saluer la démarche des auteurs et leur orientation assumée jusqu'au bout. Comme l'auraient fait les Wachowski ?

Infos pratiques

224 pages, sans illustration.
Format : 160 x 240mm
Disponible en deux éditions : classique (25€) et "First Print" (30€), incluant une couverture exclusive, une jaquette réversible et deux ex-libris. Cette version n'est disponible que sur le site officiel de Third éditions.

Critique réalisée par Alandring à partir d'un exemplaire presse fourni par l'éditeur.

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